mardi 23 février 2016

    Les Chroniques de Yelgor : La Nuit de l'Auberge Sanglante chap 2/25



    Illustration : Duarb Du.

    [ Chapitre 1 ]

    Au-dessus des grandes portes de bois, les armes de l’auberge – gravées sur une plaque de cuivre verdie par les années – se balançaient au rythme des coups de blizzard. Le Chevalier lorgna d’un œil mauvais le dessin anguleux représentant une Noctule, à en juger par ses longues oreilles velues, donnant la pâtée à une famille attablée devant de larges écuelles. En contemplant l'image, il s’imagina que les mets fumants n’étaient autres que des abats d’infortunés voyageurs détroussés par la créature semi-humaine.

    La sinistre réputation de cette ethnie aux mœurs meurtrières n’était plus à faire. Son maître d’armes lui avait enseigné les coutumes répugnantes de ces saletés noctambules et carnivores dont les yeux possédaient un redoutable pouvoir de séduction grâce aux couleurs changeantes de leurs iris. Les femmes de chambre et les cuisinières se serraient d’horreur à l’écoute des massacres commis par ces monstres au pelage d’ébène qui avaient hanté les royaumes, il y a de cela soixante ans.

    Après un court soupir, il poussa les lourdes portes de chêne et pénétra dans l’atmosphère suffocante de l’auberge. La chaleur tropicale porta à ébullition son corps transi, prisonnier depuis trop longtemps de sa cotte de mailles. Ses pieds suèrent abondamment dans ses bottes de cuir tandis que ses chausses de laine se plaquaient sur ses jambes. Ses gants comprimèrent aussitôt ses doigts, les moulant dans les moiteurs désagréables d’une vase tiède. Les odeurs mêlées de pets rances, de chou, de viande rissolée et d’hydromel lui donnèrent la nausée.

    Les bruits des conversations l’étourdirent lorsqu’il circula entre les corps affalés de vilains aux faciès patibulaires. Quelques joueurs de cartes tapaient le carton, crachant des interjections volcaniques et des rires sismiques à chaque coup. Ils raflaient dans leurs pognes des petits jetons circulaires taillés dans des chutes d’ébénisteries. Des filles de joie mafflues encourageaient le gagnant en pressant leurs charmes faisandés sur son tarin couperosé. Dans des recoins, des hardes de Kobolds discutaient avec les faces de crapauds de Gobelins en caquetant dans leur sabir incompréhensible. Les faces canines aux oreilles triangulaires le dévisageaient, une rancœur tenace larvée dans leurs yeux noirs. Comment les tenanciers de ce bouge acceptaient-ils cette noire engeance païenne ?

    Le Chevalier zigzagua dans une salle envahie par une cohorte de clients éméchés et braillards. Le grand foyer central, encerclé par un muret en pierre, accueillait un brasier de plus de sept pas de long et quatre de large. Une grande cheminée en tôle recueillait les fumées et la chaleur qui alimentaient tout le bâtiment en passant par un complexe circuit de tuyaux inclus dans les murs.

    Des esclaves s’escrimaient à faire tourner des grillades de limaces laineuses entières. La graisse dégoulinait des chairs et grésillait dans les cendres chaudes, donnant parfois naissance à une petite fontaine de flammèches. L’odeur des hâtelettes rissolées à point tordit l’estomac du Chevalier qui rognait depuis plus de trois semaines sur les réserves de viande salée de son paquetage. Dans la cohue grouillante, il passa devant le comptoir, avisant le fourreau d’ébène d’un sabre pendu au-dessus d’un grand miroir encadré par des étagères remplies de flasques d’alcool. 

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