vendredi 22 novembre 2013

    Comment la Bit-lit émascule le cinéma fantastique... part 3 : Des années 80 à 90 : Renouveau et Communautarisme

    Dans les années 80 la figure du vampire réapparaît sous trois incarnations :

    - Le Serial-Killer : Dans le cadre de ce long article, je me contenterais de survoler ce sujet tant la descendance  filmique est longue. Je soulignerais juste quelques points communs qui ont servi de passerelles entre un type de monstres totalement imaginaire, le vampire et son corollaire plus probable, le Tueur en Série envisagé comme un génie du crime.

    Comme nous l’avons vu, Martin de Romero anticipe sur l’évolution du genre en mêlant la thématique du vampire et du serial-killer en un seul film. Si son traitement ne rencontre pas le succès espéré, l'orée des années 80 verra les vampires, les loups-garous et autres comparses des ténèbres péricliter. En revanche, l’horreur personnifiée par de vrais monstres à visage humain deviendra prédominante, Hollywood saisissant vite le potentiel de fascination de ces ogres modernes. Personnages aussi pitoyables que fascinants, les tueurs en série remplaceront leurs ancêtres surnaturels. Ce n’est pas un hasard si ceux-ci furent souvent affublés par la presse à sensation de noms inspirés par la littérature et le cinéma d’horreur. Nous citerons par exemple : « Le Vampire de Dusseldorf » (Peter Kürten), « l’Ogre de Santa Cruz » (Edmund Kemper), « Le Clown Tueur » (John Wayne Gacy) etc… Nous ne nous attarderons pas sur ces individus bien réels pour nous consacrer à leurs descendants cinématographiques dont le plus célèbre d’entre eux, Hannibal Lecter, qui deviendra un digne successeur de Dracula.



    Doué de dons hypnotiques et d’un sang froid reptilien, Hannibal Lecter se situe au-delà de l’humain, ce qui le transforme en un monstre de fiction au semblable à Dracula. Raffiné, cultivé et élégant, Hannibal élève le meurtre sadique au rang des beaux arts et s’entoure d’une petite cour de psychopathes qu’il prend sous sa tutelle. Comme Dracula il symbolise un Mal contagieux car Hannibal contamine ceux qui le fréquentent sans qu’il n’y ait besoin de morsure. Un simple dialogue suffit à corrompre l’âme. Cet axe dramatique sera d’ailleurs exploité par les suites du Silence des Agneaux et en particulier par la série télé Hannibal toujours en cours de diffusion.

    Les thrillers produiront de nombreux tueurs en série oscillant entre le méchant indestructible et le pauvre hère pitoyable. Ainsi dans Seven de David Fincher le psychopathe de service (Kevin Spacey), malgré un aspect fluet, apparaît comme un démiurge manipulant les enquêteurs comme des marionnettes au fil d’une enquête sanglante. David Fincher reprendra la figure du tueur en série dans l’excellent Zodiac dont quelques séquence tout en menaces larvées flirtent avec le fantastique. Entre ces deux films exemplaires, d’autres tueurs en série se mueront en stéréotypes risibles, surexploités dans des navets pour faire frémir les grand-mères. Six-Pack (Alain Berbérian), Copycat (Jon Amiel), Bone Collector (Phillip Noyce) abuseront de l’omnipotence de leurs méchants, repoussant les limites du réalisme très, très loin…



    A côté de cet interprétation destinée au grand-public, deux directions vont diviser le cinéma d’horreur. Le sous-genre Slasher usera jusqu’à la corde du psychopathe indestructible, remplaçant le vampire par un croquemitaine immortel qui immolera sur l’autel de sa psychose de jeunes décérébrés fumeurs de oinjs. La trop longue saga des Vendredi 13, elle-même ersatz de la série des films Halloween initiée par John Carpenter restera un cas d’école. Doté d’une pauvreté d’écriture affligeante ne servant de prétexte qu’à des scènes gores dénuées du moindre intérêt, les Vendredi 13 multiplieront à l’infini la même recette avec une obstination faisant écho à celle de leur tueur fétiche, le crétin congénital Jason Voorhes.

    Exception notable, Les Griffes de la Nuit de Wes Craven, installera un véritable ogre de légendes. S’il ne consomme pas ses victimes, Freddy Krueger s’impose comme un redoutable spectre vengeur traquant les enfants de ses anciens bourreaux au sein de leurs rêves. Pourvu de griffes acérées et d’un humour tranchant, ce revenant protéiforme se creusera une place enviable dans les successeurs de Dracula. Wes Craven, alors inspiré, créé une entité qui est tout autant un monstre dont la perversité n’a rien à envier à celle des vampires qu’un symbole des crimes des pères de l’Amérique revenant hanter leurs descendants [1]. Charismatiques et touchant à de nombreuses peurs aussi viscérales qu’intellectuelle, Freddy Krueger succède avec Hannibal Lecter aux vampires d’antan dans le cœur des spectateurs.



    Dans un mouvement opposé une autre branche du cinéma d’horreur engendrera des versions plus réalistes du tueur en série dont les actes horribles ne sont que trop humains. Si l’inaugural Psychose d’Alfred Hitchcok s’inspire des méfaits d’Ed Gein tout en usant de la fiction pour atténuer la portée des meurtres, Richard Fleischer s’engagera sur une voie quasi documentaire dans l’excellent L’Étrangleur de Boston qui suit les agissements du tueur éponyme. Reconstitution d’une cité en proie à la paranoïa et d’une psychée fêlée, le film mêle une enquête policière semée de chausse-trappes dans sa première partie et une étude psychologique dans la seconde.

    D’autres œuvres emprunteront cette direction, cherchant à distiller un authentique malaise chez le spectateur. Deranged (Jeff Gillen et Alan Ormsby), Maniac (William Lustig), Schizophrénia (Gerald Kargl) ou Henry, portrait of a serial-killer (John MacNaughton) appartiennent à cette famille de films poisseux qui mettent à rude épreuve l’estomac du cinéphile averti en explorant l’univers mental de ces monstres. Si les chocs visuels gores se rencontrent fréquemment au sein de ces pellicules, ils n’en sont pas le sujet comme dans les Slashers, mais un outil que les réalisateurs utilisent pour rendre compte de la fragilité de la chair et par ricochet à celle de l’esprit. Nous franchissons les barrières du genre pour pénétrer dans une étude de caractère qui nous renvoie notre voyeurisme malsain. Le vampire symbolisait un mal « extérieur » qui nous dédouanait de nos pulsions tous en jouant un subtil menuet avec Eros et Thanatos. À l’inverse les films de tueurs en série montrent l’humanité dans ce qu’elle de plus veule et de plus crade en omettant l’excuse de la distance confortable que procure la mythologie vampirique. Ils martèlent que la nature première de l’homme est mauvaise sur un rift gras de punk bourré à la pisse d’âne !



    Les tueurs en série sont devenus eux-mêmes pour le meilleur et le pire un archétype de la culture populaire avec ses codes, ses navets et ses chefs-d’œuvre. De Psychose à Martin en passant du Giallo au Slasher, l’évolution du personnage se perd dans des arabesques ambiguës. Un Dexter ou un Hannibal Lecter appartiennent à la fiction. L’Étrangleur de Boston ou Henry, portrait of a Serial-Killer dévoile une réalité abjecte. Les films de la veine réaliste flirtent avec l’insoutenable, mais au moins ont-ils l’honnêteté de la démarche intellectuelle…



    - Le Vampire en Communauté : 1976 : le succès d’Entretien avec un Vampire d’Anne Rice bouleverse la nature solitaire de la créature. La plupart du temps ses rejetons nommés « Goules » restaient en arrière plan, des personnages décérébrés, maintenus en vie par la soif de sang. Autrefois unique détenteur du Mal et de la capacité de le répandre par sa morsure, le vampire se conjugue à présent au pluriel. Cet aspect communautaire et son corollaire de questions dramatiques entraîneront une évolution de ses us et coutume. Le vampire s’organisera en clans. Les saigneurs se doteront d'une philosophie et d'une politique… Esquissée à gros traits comiques dans le Bal des Vampires de Roman Polanski, la société des vampires s’imposera comme modèle pour toute une génération d’auteurs après le raz de marée Anne Rice.

    D’abord timide, prenant ancrage dans des œuvres atypiques comme Aux Frontières de l’Aube et son groupe de vampires paumées écumant les routes du sud des États-Unis, la démarche se généralisera. La série télé Buffy contre les Vampires unifiera différents univers qui jusque-là n’entretenaient presque aucun rapport entre-eux. La comédie teenagers se teintera d’une violente dose de fantasy. Les vampires connaîtront les feux de la rampe, mais tout un assortiment de monstres les accompagnera, donnant naissance à l’une des premières fictions de « Bit-Lit ». Les auteurs utiliseront les vampires comme d’une toile de fond secondaire, servant de révélateur aux personnages principaux.

    Dès que le vampire devient pluriel et doit se distinguer de la masse de créatures qui l’environnent, la question de sa nature disparaît. Cette série marquera le début des vampires s'interrogeant sur leurs conditions, traînant un spleen de collégien dans des décors gothiques. Si la démarche peut être intéressante, et elle sera amplement développée dans la littérature fantastique par l’intermède de quelques romans transcendant les clichés du genre, elle n’en est pas moins promise à un échec formel. Tant que le vampire assumait la fonction d'élément déclencheur du récit, les auteurs pouvaient broder sur ses origines, son fonctionnement, etc... Mais dès lors qu’il acquiert le statut de protagoniste, cette démarche ne fonctionne plus et il faut alors le doter de motivations autres que nourricières. Les vampires écoperont alors de vague à l’âme risible et de remords ridicules dignes des errements sentimentalo-grotesques d’un adolescent en pleine crise.

    Transformer le monstre en personnage principal amoindrit la puissance du symbolisme qu'il véhicule. Dans son Dracula, Francis Ford Coppola nous fera passer du côté du comte. Il imposera dans le script une histoire d’amour afin de rendre son œuvre plus abordable par le grand public et d’excuser les agissements sanglants du comte. La greffe peut-être louable, mais elle désamorce la plupart des scènes-chocs puisque nous savons en tant que spectateurs que Mina ne craint rien en présence du Seigneur des Ténèbres…

    Car n’oublions pas que le vampire, dans ses premières manifestations, évoquait à la fois un mal extérieur et les fantasmes sadiques de l'homme. Par sa perversité, il contaminait ceux et celles qui entraient en contact avec lui. En l’utilisant comme personnage principal on affaiblit son aura malsaine. Cet affaissement du symbolisme vampirique entraînera une lente dégradation de l'archétype dans le tournant des années 2000…

    L'accroche la plus stéréotypée pour un film de vampire,
    déjà...


    - Le Vampire Bizarre : En dehors des comédies potaches comme Fright Night, les années 80 verront quelques films psychotroniques assaisonner le vampire à toutes les sauces. Le premier film de Tony Scott, Les Prédateurs transforment le vampire en un être fragile dont l’immortalité dépend de l’amour que lui porte son âme sœur. Le délicieusement bis Lifeforce nous montre des parasites de l’espace cherchant à vampiriser l'énergie bioélectrique des hommes. Leurs victimes deviennent de pitoyable mort-vivant qui tente d'aspirer à leurs tours la force vitale d’autres personnes. Cronos redéfini le vampirisme comme le résultat d’une expérience d’alchimique tandis que Vorace revient aux origines du mythe dans un western âpre non dénué d’un humour noir typiquement anglais. Autant de voies de renouvellements qu'esquiveront la déferlante d’œuvres navrantes qui inonderont les multiplexes…



    1983 : Les Prédateurs de Tony Scott.

    À nouvelle décennie, nouveaux prédateurs. Baignant dans l’ambiance délétère des années 80, en rupture totale de style avec ses prédécesseurs, Tony Scott modèle le mythe du vampire selon ses propres besoins. Myriam Blaylock, une vampire âgée de quelques millénaires évolue depuis des siècles avec son compagnon, John (David Bowie). Le lien amoureux qui les unit repousse les atteintes du temps. Mais Myriam, volage et égoïste, se lasse de son amant. John subit le sort de tous les anciens favoris de la vampire : un vieillissement accéléré. Pendant ce temps, Myriam jette son dévolu sur la professeure de médecine Sarah Roberts (Susan Sarandon) qui s’occupe du cas de John. Elle lui offre immortalité, mais les choses ne tournent pas à l’avantage de la vampire, car Sarah Roberts échappe à son emprise.

    En quelques plans, Tony Scott reprend à son compte le livre de Whitley Striber pour en extraire sa vision. Il expérimente les filtres et les effets visuels pour conférer une patine unique à son œuvre. Le réalisateur et ses scénaristes réinventent le vampire depuis ses fondations, oblitérant toute l'iconographie gothique poussiéreuse. Les vampires sont ramenés au statut d’êtres humains que le vieillissement ne touche pas. La problématique du sang reste présente mais de façon plus diffuse, comme si cela n’intéressait que très peu le réalisateur. On ne s'attarde pas sur certaines énigmes posées par la condition des créatures, les auteurs préférant se concentrer sur les personnages. Une approche elliptique qui permet de laisser toutes latitudes aux spectateurs de remplir les zones d’ombres.

    Le vampire s’adapte à la modernité et occupe désormais les immeubles chics de nos mégalopoles, s’immisçant au cœur du paysage urbain. Outre son traitement anticonformiste du sujet, le métrage restera dans les mémoires comme une icône du mouvement gay et lesbien en particulier.



    1985 : Vampire, vous avez dit Vampire (Fright Night) de Tom Holland.

    Peu de changement dans les us et coutume de nos suceurs de sang à part le pull à col roulé qui remplace de manière piteuse la cape. Le film oscille entre teen-movies comique et horreur très légère. Seules les séquences d’effets spéciaux constituent des moments de bravoure qui ponctue une mise en scène fade.



    1985 : Lifeforce de Tobe Hooper.

    Le choc de Massacre à la Tronçonneuse condamna Tobe Hooper à errer dans les limbes du cinéma, éclipsant une filmographie imparfaite, mais attachante à laquelle appartient ce Lifeforce, délire pelliculé sous acide comportant son lot de scènes d’anthologie.

    En contrat avec la fameuse maison de production Cannon (qui coulera en partie à cause du four du film au box-office), Tobe Hooper adapte le roman LesVampires de l’Espace de Colin Wilson. Seconde rencontre entre l’auteur de Massacre à la Tronçonneuse et les vampires, Lifeforce propose un grand spectacle empli de visions apocalyptiques. L’exposition suit le parcours d’astronautes explorant un antique vaisseau abandonné en orbite autour de la terre. Dans ses coursives flottent d’inquiétantes créatures dont la morphologie ressemble à celle des chauves-souris. Dans les replis de cet inquiétante navette à l’aspect évoquant les créatures biomécaniques de H.R.Giger, les cosmonautes découvrent trois êtres humains nus (dont Mathilda May !), parfaitement conservés dans des sarcophages de cristal.

    Dans ce film les vampires naviguent de planètes en planètes en adoptant la forme des êtres qu’ils parasitent. Comme leurs homologues classiques, les créatures possèdent des pouvoirs hypnotiques et entretiennent des liens psychiques avec leurs proies. Une fois libérés, les parasites spatiaux répandent une épidémie de vampirisme dans les villes terriennes avec une effarante célérité. Tobe Hooper joue alors sur les orgues du film de zombies, les victimes métamorphosées en goules décharnées courant dans les rues pour s’emparer de l’énergie d'humains sains, propageant de manière exponentielle la contagion.

     Les auteurs essaient de démarquer de la vision gothique du vampire pour mettre le doigt sur un concept d’horreur cosmique que n’aurait pas renié H.P.Lovecraft. Visuellement efficace, l'œuvre de Hooper fut desservie par une interprétation calamiteuse, un mélange des genres parfois indigeste et une happy-end maladroite que l’on imagine dictée par des producteurs échaudés par le produit final.



    1987 : Aux Frontières de l’Aube (Near Dark) de Katherine Bigelow.

    Ce titre dégraisse de fond en comble le vampire pour n’en garder que l’essence. Adieux les chauves-souris, la crypte, le cercueil, l’ail et l’érotisme. Les saigneurs sont désormais motivés par leur besoin de sang et leur phobie de la lumière. Là où la cure de jouvence de Tony Scott transformait les nobles décatis en yuppies friqués régnant sur le monde des humains à travers les âges, la réalisatrice Katherine Bigelow invente les premiers SDF immortels et immoraux de l’histoire du cinéma. Pour ne rien gâcher, le métrage affiche une photographie bleutée dépressive et fonctionne comme un croisement entre un road-movie destroy et un western moderne.

    Transformé en goule à son insu par la belle Mae (Jenny Wright), Caleb (Adrian Pasdar) se retrouvera embrigadé de force dans sa nouvelle et ténébreuse famille. Un groupe hétéroclite qui comprend le patriarche Jesse Hooker, un ancien soldat sudiste (Lance Henrisken) et sa compagne Diamondback (Jenette Goldstein), un psychopathe (Bill Paxton) que sa condition de vampire fait jubiler ainsi qu’un enfant (Joshua John Miller) que les siècles d’errance ont déséquilibré. Cette petite bande sillonne les routes des États-Unis, tuant les épaves de la nuit ou écumant les bars interlopes.

    Outre une exploitation de la violence à la fois graphique et poisseuse, le métrage explore plusieurs idées novatrices. Les vampires épuisés par une solitude sans trêve se regroupent en communautés, marquant l’apparition des premiers clans de vampires. La réclusion entraînée par leurs conditions pousse les protagonistes à créer d’autres monstres, des compagnons d’infortune qui se rassemblent en une parodie de famille dysfonctionnelle.

    La plupart de ces idées puisées dans celle d’Anne Rice seront néanmoins modérées par la soif de sang. Car les vampires de Bigelow sont esclaves de leurs pulsions primaires sans aucune échappatoire à leur dépendance, excepté le suicide. Cet élément scénaristique tempère la tentative d’humanisation pour le rendre inaccessibles à notre empathie.

    Parmi les nouvelles idées exposées dans le film, on retiendra la possibilité novatrice pour un vampire de redevenir humain à partir de transfusions sanguines.



    1987 : Génération Perdue de Joël Schumacher.

    En dehors de la réalisation plate de Joël Schumacher, on retrouve ici deux thèmes importants qui évoquent la future dérive du vampire vers la Bit-Lit : un univers inspiré par le teen-movie et une communauté de vampires qui se regroupe autour d’un leader charismatique.

    1988 : Vampire vous avez dit Vampire 2 (Fright Night 2) de Tommy Lee Wallace.

    Le succès du film de Tom Holland engendre une séquelle qui nous refait le coup du Bal des Vampire dans une petite bourgade américaine. À part quelques effets de maquillage impressionnants, la recette reste la même…

    1988 : Le Repaire du Ver-Blanc (Lair of the White Worm) de Ken Russel.

    Adapté d’une autre histoire de Bram Stocker, le film de Ken Russel mêle fouille archéologique mystérieuse, culte païen et vampires. On trouve un zeste de Lovecraft avant la lettre dans ce conte mettant en scène une secte de vampires célébrant une ancienne divinité souterraine : le Ver Blanc du titre. Pourtant, la rencontre entre un sujet qui semblait taillé sur mesure pour les délires visuels grandiloquents et le réalisateur anglais impulsif accouchera d’un pet foireux.

    La faute en incombe à un budget restreint, à une photographie baveuse digne d’un Derrick et à des touches d’humour involontaires frisant souvent le ridicule. Hugh Grant à ses débuts cachetonne dans la peau du châtelain de service. Incarnant sans subtilité son personnage de dandy il suscite la moquerie et achève les bonnes idées du script.

    Pourtant le film se montre généreux en idées tordues, évacuant les habituels clichés du vampire gothique. Ainsi Ken Russel modifie leurs statuts de revenants, préférant les changer en un peuple d’homme-serpent dont les canines, semblables à des crochets venimeux servent autant à aspirer le sang qu’à inoculer du poison hallucinogène. Très portés sur le sexe, ces vampires useront d’une imagerie influencée par le sadomasochisme incluant le port de gode-ceinture pour empaler leur victime virginale ! L’idée des crocs solénoglyphes sera reprise des années plus tard dans la série True Blood.



    1989 : Embrasse-moi Vampire (Vampire's Kiss) de Robert Bierman.

    Artisan besogneux, ayant échoué dans les séries-télés, Robert Bierman affiche à son palmarès cette curiosité qui repose sur les épaules de Nicolas Cage. Se croyant victime d’une jolie vampire, notre héros s’imagine en devenir un. À la fois glauque et comique, le métrage préfère laisser le spectateur mijoter. Si le vampirisme mis en avant au cours de l’histoire répond au cliché du genre, le traitement apporté le projette plus du côté de la maladie mentale. Une curiosité à découvrir pour le jeu excessif de Nicolas Cage.



    1992 : Innocent Blood de John Landis.

    Après que son film de loup-garou l’a rendu célèbre, John Landis embarque Anne Parillaud tout juste adoubée par son rôle dans Nikita pour incarner une vampire qui se nourrit de maffieux. Elle métamorphose involontairement l’inquiétant Robert Loggia, le caïd ultraviolent local, en un monstre assoiffé de sang. Le métrage respecte les règles du vampirisme, utilise les effets gore avec parcimonies, mais ne parvient pas à retrouver le juste équilibre entre humour et horreur de son célèbre An American Werewolf in London. John Landis ancre le récit sur le personnage de la vampire, anticipant d’une paire d’années le changement qu’apportera Entretien avec un Vampire dans l’évolution de la fiction.



    1993 : Cronos de Guillermo Del Toro.

    Il faudra attendre ce petit film réalisé par un Guillermo Del Toro débutant pour assister à une véritable relecture du mythe. Dissimulé dans une boîte dorée prenant la forme d’un bousier égyptien, un insecte activé par un mystérieux mécanisme, transmet le don d’immortalité à ses possesseurs en les transformant en vampire. Del Toro pose déjà les bases de son univers à partir d’arthropodes et de machines diaboliques. On suit la déchéance de ce brave antiquaire qui se mue en une pathétique créature de la nuit tandis qu’un milliardaire rongé par une affliction mortelle tente de mettre la main sur l’objet maléfique par tous les moyens possible.

    Un premier film inspiré, en forme d’étude intimiste sur un homme dont la personnalité s’altère au fur et à mesure que progresse la métamorphose. Le vampirisme devient presque une excuse tant l'histoire exploite le registre de la métaphore de la maladie [2]. Del Toro ne ménage pas ses efforts pour nous faire partager la décrépitude de son héros, le mal s’insinuant en lui par petites touches, dégradant son psychisme autant que son physique.



    1993 : Dracula de Francis Ford Coppola.

    Dans les années 1990, le plus mégalomane des réalisateurs s’empare du plus célèbre des vampires pour l’exhumer à l’écran, promettant mont et merveille et surtout une adaptation plus scrupuleuses du texte de Bram Stoker. Si les scènes clés du roman se retrouvent dans l’œuvre de Coppola, il en annihile la violence en dotant le comte de sentiments amoureux, alors que l'écrivain le dépeint comme une bestiale incarnation du mal.

    Une approche à la fois originale et dommageable qui fera pencher la balance des productions vampiriques vers un romantisme étouffant préfigurant les dégâts de Twilight. Le film de Coppola n’en pas pour autant dénué de charmes et empile quelques scènes-chocs avec un certain brio. La résurrection de Lucy en revenante livide emprunte sa silhouette diaphane aux fantômes, les transformations de Dracula, les nombreux effets spéciaux à l’ancienne… tout est pensé pour satisfaire l'amateur de genre.

    Cependant la mayonnaise ne prend pas, la faute en incombant autant à des acteurs peu intéressés par le sujet. Keanu Reeves incarne un Jonathan Harker au jeu de tanche tandis qu’Anthony Hopkins compose un Van-Helsing shooté aux amphétamines qui ne parvient pas à égaler la prestation de Peter Cushing. Une déception dont les thématiques sentimentales sirupeuses se diffuseront dans les futures fictions vampiriques comme une tache d’huile…

    Tube Cathodique. 1993-2002 : X-Files de Chris Carter.

    La série X-Files renouvellera avec une bonne paire de couilles la fiction télévisuelle. En misant sur des scénarios respectueux des genres abordés et une réalisation ambitieuse, les créateurs rencontreront un succès populaire foudroyant. Il faut se souvenir qu’à l’époque, excepté l’irruption de Twin Peaks de David Lynch, aucune série n’aura été aussi loin dans les ambiances délétères et les effets gores bien crades. Si la première saison ne paie pas de mine, les suivantes iront crescendo dans la folie, l’expérimentation tous azimuts et la volonté de se renouveler sans cesse. Beaucoup d’épisodes parviennent à un niveau de qualité digne d’un long-métrage et atteignent leurs buts, que ce soit dans l’horreur, la science-fiction paranoïaque ou la comédie hallucinogène.

    Entre l’arc principal de la conspiration gouvernementale, la série comprend des épisodes isolés consacrés à toutes les créatures du bestiaire fantastique, dont les vampires. Si l’épisode 07 de la saison 2 sobrement intitulé les Vampires (3) ne nous offre que peu de variations sur le thème, il faudra attendre la saison 5 pour rencontrer une interprétation intéressante.

     L'épisode 12 : le Shérif a les dents longues (Bad Blood) voit le célèbre agent du FBI Fox Mulder (David Duchovny) courir aux trousses d’un pauvre paysan qu’il étend raide à coups de pieux dans le cœur sous prétexte que celui-ci est le redoutable vampire qui s’en prend au bétail des environs. Pourtant, les canines hypertrophiées du suspect s’avèrent être… en plastique. Construite selon un montage alterné de plusieurs points de vue, cette histoire met nos héros aux prises avec toute une ville de différents vampires.

    Les auteurs nous présentent une confrérie soudée de vampires de plusieurs espèces, régies selon des règles d’existences communes. Cet épisode reprend quelques idées provenant de l’adaptation d’Entretien avec un Vampire sorti quelques années auparavant pour nous montrer des monstres vivants en marge de la société humaine. Ils se fondent dans la population usant de leurs pouvoirs hypnotiques. Un procédé qui devient limpide grâce à l’emploi d’une narration reposant sur la perception d’un même événement de manières différentes par les deux agents du FBI.

    Si l’utilisation de la communauté vampirique se fraie de plus en plus un chemin dans la culture populaire, les auteurs de X-Files en profitent pour renouveler le thème en lui apportant un traitement comique et décalé, conçu avec une rare intelligence et un sens de l’humour noir admirable.

    1994 : Entretien avec un Vampire de Neil Jordan.

    Adaptation tardive du livre éponyme d’Anne Rice, le film nous fait entrer de plain-pied dans la modernité du vampire et de sa dérive sentimentale. La narration passe de l’autre côté du miroir pour embrasser le point de vue des monstres. Nouvellement créé par Lestat (Tom Cruise), Louis (Brad Pitt) nous dévide son histoire sur un mode pathétique. Sa voix off nous emmène dans les recoins d’une congrégation vampirique, véritable univers parallèle coexistant avec le monde des hommes.

    Le scénario ouvre des portes aux auteurs à partir desquels les créatures surnaturelles vont être traitées selon un angle communautaire. Nous nous retrouvons ici dans un moment charnière où le monstre n’en est plus un. Louis devient l’incarnation d’un vampire doté de barrières morales. Nous avons observé dans les précédentes fictions qu’une victime vampirisée est dépossédée de son identité pour se muer en un reflet déformé d’humanité. Mais Anne Rice et Neil Jordan font fi de cette règle en dotant les monstres d’un libre arbitre qu’ils ne possédaient pas autrefois.

    Entretien… marque un cap important dans l’évolution des vampires en leur conférant le statut d’avatar du spectateur. Par son basculement des valeurs, en nous raccrochant à la longue litanie d’un vampire qui refuse de se nourrir de sang, nous pouvons déjà sympathiser avec un mal qui restait autrefois extérieur, symbole de la perversité. Avec le film de Neil Jordan tous les ingrédients de la Bit-Lit s’imposent peu à peu comme une évidence.



    1995 : The Addiction d’Abel Ferrara.

    L’œuvre de Ferrara se sert du vampire comme d’une métaphore de la dépendance à la drogue. Agréablement mis en scène dans un noir et blanc granuleux ce métrage n’offre que très peu d’innovation et s’attarde surtout sur le discourt d’un Christopher Walken en vampire halluciné, théorisant sur sa condition. On s’ennuie ferme et seule la prestation passionnée de Lili Taylor, qui n’hésite pas à se vautrer dans des hectolitres de sang noir, sauve les meubles.



    1995 : Le Vampire de Brooklyn de Wes Craven.

    Pas encore auréolé du succès de son néo-slasher Scream, Wes Craven se compromet avec Eddy Murphy pour commettre cette pochade pathétique qui ne choisit jamais entre l’horreur sérieuse et la franche comédie. Cette hésitation aboutit logiquement à un nanar pur premium auprès duquel le Blacula de 1972 est réussi…

    1996 : Une Nuit en Enfer de Roberto Rodriguez.

    Ce film contient le plus beau retournement de situation jamais vu, le virage thématique le plus casse-gueule de toute la filmographie vampirique. Si la première partie fonctionne comme un polar musclé, la seconde va verser dans le gore le plus spectaculaire, mais non dénué d’humour !!

    Les vampires de cette histoire se conforment aux règles basiques, mais chassent en meute belliqueuse. Affublés d’un aspect repoussant, fruit de l’imagination des maquilleurs auquel le réalisateur a laissé les mains libres, ce sont les dignes héritiers de Nosferatu, égorgeant dans la joie et la bonne humeur les routiers qui ont le malheur de s’arrêter dans leurs bars…

    L'affiche d'Une Nuit en Enfer par Frank Frazetta !


    Tube Cathodique. 1997 : Buffy contre les Vampires de Joss Whedon.

    Impossible de ne pas parler de cette série, véritable point zéro de la Bit-Lit dans son interprétation audiovisuelle. La narration se focalise sur le personnage éponyme, divisant son temps entre le lycée et la chasse aux monstres. Les vampires mis en scène se raccrochent à l’image d’Épinal avec cependant des capacités surnaturelles moindres. Les vampires pullulent et se regroupent en conclaves. L'aura de perversité qui les entoure a été rabaissée et leur population nombreuse qui peuple la petite ville fictive achève de les ringardiser.

    Buffy… va utiliser deux figures installées par Anne Rice en la présence de Louis et de Lestat en les unissant en un seul personnage. Ainsi, le second couteau Angel, vampire de son état, subit une malédiction qui lui fait regretter ses boucheries (soft). Il passe le plus clair de son temps à se lamenter tandis que son alter ego qui ressortira de temps à autre du placard afin de dynamiser le récit se contentera de préparer des plans diaboliques digne d'une pâle copie de Fu-Manchu, rires sadiques compris !

    Outre la prédominance des rôles féminins, on assistera à un foisonnement exponentiel de créatures tirées de contes populaires, mais aussi des lubies de scénaristes. Tout ce beau monde s’organisera en différentes communautés et factions. Formant un sous-texte, ce macrocosme de bric et de broc se façonnera sous la plume d’autres auteurs pour codifier de manière définitive la Bit-Lit.

    Cette série marque une césure entre l’époque durant laquelle le vampire est envisagé dans le cadre de l’épouvante, et celle où la créature va jouer les personnages de films d’action. Le traitement du vampire dans une fiction orientée action affaiblira son symbolisme premier pour l’orienter de façon brouillonne vers le super-héros. Cette approche du mythe du vampire dégénérera vite en une foire aux effets-spéciaux. Le vampire est alors envisagé comme une excuse à l’exécution d’exploit surhumain.

    1998 : Blade de Stephen Norrington.

    Puisque nous parlons de super-héros, c’est l’adaptation d’un personnage de la Marvel qui réalise en premier la fusion entre le mythe vampirique et l’univers des super-héros. Wesley Snipes incarne ici Blade, un Dampyr [3]. Métamorphosé contre sa volonté en créature non-humaine après un accident rocambolesque, le héros dézingue des suceurs de sang avec tout un attirail de lames d’argent.

    En dehors d'une réalisation poussive, on retiendra l’exploitation de l’idée de l’émergence d’une solide communauté, s’articulant autour d’une structure hiérarchique pyramidale dont le Patriarche demeure le dirigeant suprême.

    Malheureusement dans l’univers de Blade, les vampires dansent dans des boîtes de nuit techno tout en dégustant une pluie d'hémoglobine car Blade est un produit calibré pour un public d’adolescents décérébrés qui plombe ces quelques bonnes trouvailles sous un scénario putassier. Le succès retentissant aidant, Blade connaîtra deux suites.



    1998 : Vampire$ de John Carpenter.

    Longtemps ajournée, la rencontre entre le vampire et John Carpenter [4] se concrétise autour d’un projet hybride, tenant plus du western surnaturel que du film d’horreur classique. Cette confrontation attendue n’accouchera pas d’une œuvre définitive, mais d’une série B musclée appréciable.

    Revenant aux monstres des origines, John Carpenter oppose de féroces chasseurs de vampire armés par le Vatican à des morts-vivants brutaux. Si quelques règles basiques sont respectées, la séquence de bataille gore qui ouvre le métrage donne le ton. Carpenter s'amuse en mettant en scène un film d’action dans lequel il est difficile de choisir son camp, les chasseurs compensant leurs faiblesses humaines par une cruauté démultipliée.

    Cela n’empêche pas le réalisateur de se faire plaisir en montrant les créatures sortir de terre comme des zombies apocalyptiques, de filmer des attaques sanglantes tel le massacre des mercenaires dans un motel borgne. L’ironie de Carpenter fera de l’église l’origine de tous les maux puisque le patriarche des vampires portait autrefois la robe pourpre d’un cardinal. Une œuvre qui si elle ne change pas les fondamentaux du mythe, refuse tout compromis au romantisme et installe à nouveau le vampire dans sa fonction de monstre ultime.


      
    1999 : Vorace (Ravenous) d’Antonia Bird.



    À un an de l’an 2000 et de la catastrophe artistique d’une décennie, Antonia Bird repoussera les limites du concept vampirique en le reprenant à la base : le cannibalisme et les mythes qui l’entourent. Dans sa réalisation tout comme dans son scénario, Vorace n’a rien à voir avec un émule de Dracula, mais les idées qui le traversent, bien qu'empruntant la forme d'un Western horrifique, le rattachent aux films de vampire. Appelée à la rescousse sur un tournage bancal, la réalisatrice anglaise exécute un tour de force en sauvant une entreprise promise à la faillite tout en injectant une critique féroce des États-Unis dans un script défaillant. Elle s’approprie le thème du cannibalisme comme aucun autre cinéaste ne l’a fait avant elle. L’originalité de la démarche n'épargnera pas le film qui connaîtra le four annoncé au box-office et demeurera dans la liste des chefs-d’œuvre oubliés.

    Car dans le parcours du pleutre capitaine John Boyd (Guy Pearce) se retrouve l’idée que le mal est une maladie contagieuse. Son vecteur prend les traits du Colonel Ives (Robert Carlyle dans une performance hallucinée…), un cannibale de la pire espèce qui s’empare de la force et de la personnalité de ses victimes. La légende indienne qui traverse le récit comme un fil rouge raconte que celui qui mange un homme absorbe se force, sa vitalité et sa virilité. Comme dans la fable, le Colonel Ives devient un être multiple, empli par les ombres de ses proies. Antonia Bird s’appliquera à nous montrer la puissance de son cannibale au cours de trois séquences d’une impressionnante maîtrise du rythme et de la tension qui permettront au colonel Ives de devenir l’un des vampires/cannibales les plus redoutables de l’histoire du cinéma…

    Mené par Ives qui les guident dans les montagnes, un petit groupe de soldats recherche les survivants d’une expédition perdue. Dans une caverne isolée, les deux soldats envoyés en éclaireurs découvrent un véritable abattoir humain. Au même moment, Ives, qui a été fait prisonnier après des errements de comportement, semble pris d’un accès de folie, grogne comme un chien avant de creuser frénétiquement la terre. Ses mains agitées de spasmes produisent un son de fouet et son expression se déforme avant de se recomposer lorsqu’il quitte la personnalité de son gibier pour redevenir le monstre anthropophage. Dans cette séquence, l’acteur joue une métamorphose interne, le cannibale jonglant entre les différentes personnalités des personnes qu’il a ingéré. Il s’empare littéralement de l’âme de ses victimes et se fabrique, comme le vampire, des masques d’emprunt pour se donner une respectabilité de surface.

    Une autre scène nous expose les objectifs d'Ives. Tel le vampire, il souhaite disséminer le cannibalisme dans les naissants États-Unis en utilisant pour cela des hommes sur lesquels il a jeté son dévolu. Il transmet le mal en blessant à mort ses proies, les mettant devant le choix cornélien de devenir cannibale ou de mourir. Une méthode que n’aurait pas reniée Dracula. Bien que l’infortuné John Boyd ait par deux fois goûté à l'anthropophagie, il se refuse à sombrer dans la folie de son tuteur maléfique. Ives se lance alors dans une diatribe hallucinante, décrivant les États unis eux-mêmes comme un pays « cannibale » n’attendant que de s'étendre pour se nourrir du reste du monde. Une saillie impressionnante de lucidité qui pousse ce « petit » film de genre dans la case des chefs-d’œuvre par l’intelligence de sa métaphore.

    Le duel final entre le Colonel Ives et John Boyd explose lors d’un mano à mano sanglant où toutes les armes imaginables sont mises à disposition. Devenu un consommateur de viande humaine, Boyd possède la force surhumaine de son antagoniste. Antonia Bird nous décrit alors l’un des affrontements les plus gore de l’histoire du Western qui se conclut sur une ironie grinçante. Cette résistance hors du commun ne rappelle-t-elle pas l’invulnérabilité relative du vampire ?

    Vorace renouvelle la vision du vampire en prenant des chemins détournés, retournant dans le passé pour nous offrir une critique acerbe du capitalisme dont le Colonel Ives est la séduisante incarnation. Le personnage campé par Robert Carlyle oscille toujours dans l’objectif de la réalisatrice entre le monstre terrifiant et l’homme fascinant. Ses manières raffinées nous rassurent. L’intelligence de son discours nous séduit. Tout comme Dracula, il veut exercer son emprise sur tous ceux qui l’entourent. Autrefois malade de la tuberculose, celui qui se fait nommer le Colonel Ives a récupéré sa puissance, sa fameuse « virilité » en commençant ses repas impies.

    Doté d’un « All male Cast », excepté la vieille Indienne qui sert de guide, le film d’Antonia Bird se présente comme une tentative de définition de la nature de l’homme. La puissance qui émane d’Ives paraît d’autant plus malsaine qu’elle infecte tous ceux qu’elle touche. Aussi séduisant que redoutable, le cannibale devient une incarnation des pires instincts de dominations qui ne cessent de ronger l’homme. John Boyd, en acceptant ses paradoxes et ses faiblesses finira par venir à bout du monstre dévoreur en se sacrifiant lui-même dans une apocalypse de sang.

    Bien qu’empruntant la forme du film de cannibales, Vorace est un émule primordial de Dracula et de ses frères dont il possède les principales thématiques qu’elles soient de l’ordre de la contamination ou de la perversion. Film conspué par le public à cause d’une distribution lacunaire, Vorace fait pourtant preuve d’une liberté de ton peu prisé dans le cinéma des années 90. Peu de cinéastes ont osé brasser autant d'influences pour aboutir à une œuvre qui se situe hors des étiquettes cinématographiques habituelles.

    Vorace se pose comme un des meilleurs films à être sorti ces dernières années sur les écrans, une certaine idée du cinéma qui passe par une bonne histoire, une réalisation maîtrisée et un propos intelligent. Un divertissement d’une rare finesse rehaussé par une musique originale et des saillies d’humour noir grinçantes. A consommer sans modération !




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    [1L’aura du personnage s’est diluée dans une trop longue série de film et surtout dans un remake nauséabond qui ne parviendra pas à comprendre la symbolique de son croquemitaine…

    [2Un des grands genres de l’horreur qui comporte des pépites terrifiantes comme L’Exorciste de William Friedkin ou La Mouche de David Cronenberg.

    [3Dampyr :  un être mi-humain, mi-vampire qui possède la faculté de pouvoir sortir en plein jour. De Nombreuses fictions ont exploité ce personnage singulier, comme nous le verrons dans la suite de cette série d'article...

    [4]  John Carpenter fut envisagé pour tourner un Dracula qui ira finalement dans l’escarcelle de Francis Ford Coppola.

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